Le Fiasco d'Olkiluoto 3 : Analyse Exhaustive de l'Humiliation Industrielle et Stratégique de la Filière Nucléaire Française en Finlande
Introduction : L'Effondrement de la "Renaissance Nucléaire" Française
Le projet Olkiluoto 3 (OL3) en Finlande ne constitue pas simplement un retard industriel ou un dépassement budgétaire, phénomènes malheureusement courants dans les grands projets d'infrastructure. Il représente, dans l'histoire de l'industrie nucléaire française, un point de rupture systémique et une humiliation stratégique sans précédent. Conçu au tournant du millénaire comme la vitrine technologique du Réacteur Pressurisé Européen (EPR) et le fer de lance d'une "Renaissance Nucléaire" mondiale, le chantier s'est transformé en un bourbier technique, financier et juridique qui a duré près de deux décennies.
L'analyse approfondie des événements survenus entre la signature du contrat en 2003 et la réception finale de la centrale en juin 2025 révèle une dynamique de pouvoir asymétrique. La Finlande, par l'intermédiaire de son électricien Teollisuuden Voima Oyj (TVO) et de son autorité de sûreté intransigeante (STUK), a méthodiquement exposé les carences de l'industrie française. Ce rapport dissèque les mécanismes par lesquels la Finlande a non seulement refusé de céder aux pressions politiques ou économiques françaises, mais a contraint l'État français à subventionner massivement une infrastructure énergétique finlandaise, précipitant la faillite technique et la restructuration forcée du géant Areva.
L'humiliation infligée à EDF et Areva est multidimensionnelle : elle est contractuelle, par le piège du "clé en main" ; réglementaire, par le refus de la STUK d'accepter les standards français ; industrielle, par la révélation de la perte de compétence technique ; et financière, par le transfert de richesse des contribuables français vers les actionnaires industriels finlandais.
1. Le Piège Contractuel : L'Hubris Commercial et la Genèse du Désastre
La racine de l'humiliation subie par la filière nucléaire française réside dans la structure même de l'accord initial. Dans sa volonté désespérée de sécuriser le premier contrat d'exportation pour l'EPR face à la concurrence internationale (notamment Westinghouse), Areva a accepté des conditions commerciales qui se sont révélées suicidaires.
1.1 Le Mécanisme du "Clé en Main" (Turnkey)
En décembre 2003, le consortium Areva-Siemens a signé avec TVO un contrat à prix ferme et forfaitaire ("fixed-price turnkey contract") d'un montant de 3,2 milliards d'euros. Ce type de contrat est généralement réservé aux technologies matures et éprouvées, où les marges d'erreur sont minimes et les coûts prévisibles. Or, l'EPR était un réacteur "First-of-a-Kind" (FOAK), un prototype n'existante alors que sur papier.
En acceptant ce cadre, Areva a endossé l'intégralité du risque technologique, réglementaire et financier. Le contrat stipulait que le prix total ne serait ajusté sous aucune circonstance, même en cas de dérapage des coûts pour le fournisseur. Cette clause a permis à TVO de se protéger intégralement contre l'explosion des coûts, transférant la charge de l'apprentissage industriel directement sur le bilan financier d'Areva, et in fine, sur l'État français.
1.2 L'Asymétrie des Compétences et le Principe Mankala
L'une des erreurs fondamentales d'Areva a été de sous-estimer la sophistication de son client. TVO n'est pas une entreprise d'électricité classique cherchant le profit trimestriel, mais une coopérative opérant selon le principe "Mankala". Ce modèle unique signifie que TVO produit de l'électricité au prix de revient pour ses actionnaires (de grandes industries énergivores et des municipalités finlandaises).
Cette structure rend le client finlandais particulièrement redoutable : son objectif n'est pas la rapidité à tout prix, mais la garantie d'un coût de production bas et prévisible sur le long terme (60 ans). Face à un fournisseur français pressé de démontrer sa technologie pour vendre d'autres réacteurs ailleurs, TVO a adopté une posture de patience stratégique, refusant toute concession sur la qualité ou le prix, sachant que le contrat "clé en main" les protégeait financièrement.
1.3 La Sous-estimation des Coûts et des Délais
Le calendrier initial prévoyait une mise en service en mai 2009, soit une durée de construction de seulement 56 mois. Cette estimation relevait de la fantaisie pure pour un réacteur de 1 600 MWe, le plus puissant jamais conçu, intégrant des systèmes de sûreté redondants complexes (quatre trains de sauvegarde indépendants, double enceinte de confinement, récupérateur de corium).
Le tableau ci-dessous illustre l'écart abyssal entre les promesses contractuelles et la réalité, matérialisant l'échec commercial :
Indicateur |
Promesse Contractuelle (2003) |
Réalité Finale (2025) |
Écart / Conséquence |
Coût pour le client |
3,2 Milliards € (Fixe) |
~5,5 Milliards € (Estimé) |
TVO a payé un prix "soldé" |
Coût réel du projet |
3,2 Milliards € |
~11 Milliards € |
Perte sèche pour le vendeur |
Durée de construction |
56 mois (4,5 ans) |
~230 mois (~19 ans) |
Retard de 14 ans |
Mise en service |
Mai 2009 |
Mai 2023 (Commerciale) |
Obsolescence des plans initiaux |
La signature de ce contrat a placé Areva dans une position de faiblesse structurelle immédiate. Dès les premiers retards, le consortium s'est retrouvé à financer la construction à perte, transformant le chantier d'Olkiluoto en un puits financier sans fond qui allait engloutir les fonds propres de l'entreprise.
2. Le Choc des Cultures Réglementaires : La STUK contre la "Suffisance" Française
Si le contrat a créé le cadre financier du désastre, l'Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection finlandaise (STUK) en a été l'instrument d'exécution. L'interaction entre Areva et la STUK a été marquée par un choc culturel violent, où l'approche française, habituée à une certaine connivence institutionnelle ou à une flexibilité réglementaire, s'est heurtée à un mur de rigueur nordique.
2.1 L'Intransigeance de la STUK et de Jukka Laaksonen
Contrairement à l'expérience d'Areva en France ou en Chine, la STUK n'a accordé aucun crédit à la réputation du "champion nucléaire" français. Jukka Laaksonen, Directeur Général de la STUK durant les années critiques, a publiquement souligné qu'Areva n'était "pas habituée à une approche d'évaluation et d'inspection aussi complète".
La philosophie de la STUK repose sur le principe que la sûreté doit être démontrée avant l'action. Areva, tentant d'appliquer des méthodes de "design-as-you-go" (conception en parallèle de la construction) pour tenir des délais irréalistes, s'est vu opposer des refus systématiques.
- Documentation Incomplète : La STUK a fréquemment renvoyé les dossiers de conception jugés incomplets ou insuffisamment justifiés, bloquant des étapes critiques de la construction.
- Critique Publique : Fait rare dans le monde feutré du nucléaire, la STUK n'a pas hésité à critiquer publiquement l'incompétence de son fournisseur. En 2014, le régulateur déclarait ouvertement qu'il n'était "pas satisfait d'Areva", accusant le fournisseur d'incapacité à fournir un plan de travail crédible pour l'achèvement du projet.
2.2 La Guerre de l'Automation (Contrôle-Commande)
L'un des épisodes les plus humiliants pour le consortium franco-allemand a été l'incapacité à faire valider le système de contrôle-commande (Instrumentation & Control - I&C), le "système nerveux" de la centrale fourni par Siemens.
- Le Problème Technique : La STUK exigeait une indépendance stricte et démontrable entre les systèmes de contrôle opérationnel (utilisés pour le pilotage quotidien) et les systèmes de protection de sûreté (utilisés pour l'arrêt d'urgence). L'architecture proposée par Areva/Siemens présentait des interconnexions jugées dangereuses par le régulateur finlandais.
- L'Impasse : Pendant plusieurs années, Areva a tenté de convaincre la STUK que son design (le même que celui prévu pour Flamanville) était sûr. La STUK a refusé de céder. Ce bras de fer a paralysé le projet, Areva étant incapable de comprendre qu'en Finlande, la réglementation ne se négocie pas.
- La Capitulation : Finalement, Areva a dû revoir sa copie et modifier l'architecture pour satisfaire aux exigences finlandaises, entraînant des années de retard supplémentaires et des surcoûts massifs pour la reprogrammation et la requalification des systèmes.
2.3 Les Arrêts de Chantier (Stop-Work Orders)
La STUK a utilisé son pouvoir de police administrative de manière extensive. En 2006, constatant des dérives graves dans la qualité du béton et des soudures, la STUK a ordonné l'arrêt de certaines activités et lancé une enquête approfondie sur la gestion de la chaîne de sous-traitance d'Areva. Cette intervention directe dans la gestion du projet a été perçue comme un camouflet pour Areva, qui se targuait d'être le leader mondial de la technologie nucléaire, mais qui se faisait donner des leçons de management de qualité par une autorité de sûreté d'un petit pays nordique.
3. La Déroute Industrielle : Entre Pseudo Perte de Savoir-Faire et Révélation d’une Incompétence Plus Profonde
Le chantier d’Olkiluoto 3 (dont la construction a réellement démarré en 2005) a mis cruellement en lumière les faiblesses de l’industrie nucléaire française et européenne. Contrairement à ce qui est parfois répété, il n’y avait pas encore, à cette date, une « perte de compétences » liée à une trop longue interruption des chantiers : la dernière centrale française (Civaux 2) avait été connectée au réseau en 2002 et plusieurs réacteurs étaient encore en fin de construction ou en phase de démarrage dans les années 2000-2005.
Ce qui s’est révélé à Olkiluoto n’est donc pas principalement une disparition de savoir-faire due à l’absence de nouveaux projets pendant « une décennie », mais bien une forme d’incompétence plus structurelle et immédiate :
- une sous-estimation dramatique de la complexité du projet EPR par Areva et ses partenaires ;
- une incapacité à maîtriser dès le départ les nouvelles exigences réglementaires finlandaises (beaucoup plus strictes que les normes françaises de l’époque) ;
- des défaillances graves dans la gestion de la supply chain, la qualification des soudeurs, le contrôle qualité béton et acier, etc. ;
- une perte de culture du « premier de série » : même si les équipes avaient construit des réacteurs récemment, elles n’avaient jamais conçu, industrialisé et bâti un réacteur entièrement nouveau de cette génération.
3.1 Le Scandale du Béton de la Dalle
Dès le début du gros œuvre en 2005, des problèmes majeurs sont apparus lors du coulage de la dalle de fondation (radier) du bâtiment réacteur.
- Non-conformité de la Composition : Les inspecteurs de la STUK ont découvert que la teneur en eau du béton était trop élevée, rendant le matériau trop poreux et non conforme aux spécifications de durabilité pour une centrale nucléaire.
- Improvisation sur Chantier : L'enquête a révélé que la composition du béton avait été modifiée de manière "ad hoc" pendant le coulage pour éviter le blocage des pompes, sans validation préalable et sans documentation adéquate.
- Absence de Contrôle : Plus grave encore, il est apparu que ni le fournisseur de béton ni Areva ne savaient clairement qui était responsable de la validation du mélange. Cet amateurisme sur une composante aussi fondamentale que les fondations a détruit la confiance du client dès les premiers mois du chantier.
3.2 La Débâcle des Soudures et du Liner
La construction de l'enceinte de confinement, conçue pour garantir l'étanchéité en cas d'accident, a tourné au fiasco industriel. Le revêtement métallique (liner) en acier a été confié à des sous-traitants qui ont eux-mêmes sous-traité à des ateliers polonais sans expérience nucléaire préalable.
- Défauts Grossiers : Les inspections ont révélé des soudures espacées de manière irrégulière, des trous découpés aux mauvais endroits et des déformations structurelles.
- Intervention de la STUK : En 2007, la STUK a ordonné l'arrêt complet des activités de soudage sur le liner, exigeant qu'Areva reprenne les travaux. Le taux de réparation des soudures a atteint des niveaux catastrophiques, nécessitant de refaire une grande partie du travail manuel, ce qui a considérablement ralenti la progression du génie civil.
3.3 La "Chaîne de Sous-traitance" Incontrôlée
L'un des facteurs clés de cet échec industriel a été la stratégie d'Areva de recourir à une cascade de sous-traitants (chaining of contracts). La STUK a noté que cette fragmentation diluait la responsabilité et la culture de sûreté. Les ouvriers au bout de la chaîne, souvent non francophones et non anglophones, ignoraient parfois qu'ils travaillaient sur un site nucléaire avec des exigences spécifiques. Cette perte de contrôle sur la chaîne d'approvisionnement a forcé Areva à réinternaliser la supervision à grands frais, sous la pression constante du régulateur finlandais.
4. L'Effondrement Financier et la Restructuration Forcée
La combinaison du contrat à prix fixe et de l'explosion des coûts de construction a mécaniquement conduit à la faillite d'Areva. Ce processus a été marqué par une bataille juridique intense où la stratégie de défense française s'est effondrée face à la réalité factuelle du dossier.
4.1 La Bataille de l'Arbitrage (ICC)
Face aux pertes qui s'accumulaient (le coût estimé passant de 3 milliards à plus de 8 milliards d'euros en cours de route), Areva a tenté de reporter la faute sur TVO. Le consortium a initié une procédure d'arbitrage auprès de la Chambre de Commerce Internationale (ICC), réclamant 3,5 milliards d'euros de dédommagement pour les retards prétendument causés par le client et la STUK.
- La Réponse de TVO : Loin de se laisser intimider, TVO a déposé une contre-plainte de 2,6 milliards d'euros pour les pertes liées au retard de livraison de l'électricité.
- L'Échec Juridique : Au fil des années de procédure, il est devenu évident que la position d'Areva était intenable. Les "Awards" partiels rendus par le tribunal arbitral ont systématiquement favorisé TVO, confirmant la validité du contrat clé en main et la responsabilité du fournisseur.
4.2 La Capitulation et l'Accord Global de 2018
En mars 2018, acculé financièrement et ayant besoin de clore le dossier pour permettre la restructuration de l'industrie nucléaire française, Areva a dû capituler. L'accord global ("Global Settlement Agreement") signé est une reconnaissance de défaite totale :
- Paiement de Pénalités : Au lieu de recevoir une compensation, le consortium Areva-Siemens a accepté de verser 450 millions d'euros à TVO pour compenser les retards.
- Maintien des Obligations : L'accord a confirmé que le contrat restait de type "clé en main" et que les fournisseurs demeuraient solidairement responsables jusqu'à la fin de la période de garantie.
4.3 La Banque "Poubelle" et le Sauvetage d'État
L'impact le plus durable de l'humiliation finlandaise est la disparition d'Areva en tant que champion intégré du nucléaire. Pour sauver les meubles, l'État français a dû orchestrer un démantèlement complet :
- Refus d'EDF : Lorsque l'État a ordonné à EDF de racheter la division réacteurs d'Areva (devenue Framatome), EDF a posé une condition non négociable : elle refusait de reprendre le contrat d'Olkiluoto 3, considéré comme un actif toxique trop risqué.
- La Structure de Défaisance : La coquille juridique "Areva SA" a été maintenue en vie artificiellement par l'État français dans le seul but de porter le risque financier d'OL3 et d'achever le chantier. Les activités rentables (cycle du combustible) ont été transférées à une nouvelle entité, Orano.
- Le Coût pour le Contribuable : L'État français a dû recapitaliser Areva SA à hauteur de 2 milliards d'euros et Orano à hauteur de 2,5 milliards d'euros. Concrètement, cela signifie que le contribuable français a payé pour honorer un contrat commercial en Finlande, subventionnant ainsi l'électricité des industriels finlandais.
5. La Phase de Mise en Service et les Déboires Opérationnels (2022-2025)
Même après la fin des travaux de construction majeurs, le calvaire d'Areva et d'EDF (désormais impliqué via Framatome) ne s'est pas terminé. La phase de mise en service et les premières années d'exploitation ont été ponctuées d'incidents techniques qui ont retardé la réception finale et maintenu la pression sur le fournisseur.
5.1 L'Affaire des Pompes d'Alimentation (2022)
Alors que le réacteur s'apprêtait enfin à entrer en production commerciale régulière en 2022, des fissures ont été découvertes dans les impulseurs des quatre pompes d'alimentation en eau du circuit secondaire.
- Un Échec Conventionnel : Il ne s'agissait pas d'une technologie nucléaire complexe, mais de pompes industrielles. Pourtant, elles n'ont pas résisté aux tests.
- Impact : Cet incident a forcé un nouvel arrêt de plusieurs mois en pleine crise énergétique européenne. TVO a dû accepter de faire fonctionner la centrale avec des pompes "fissurées" sous surveillance stricte en attendant des pièces de rechange renforcées, une situation humiliante pour une centrale neuve censée être le summum de la technologie.
5.2 L'Incident Radioactif de Mars 2025
L'humiliation s'est poursuivie jusqu'en 2025. Lors de l'arrêt annuel pour maintenance, une erreur humaine a provoqué une fuite significative de fluide de refroidissement.
- Les Faits : Environ 100 mètres cubes d'eau radioactive du circuit primaire se sont déversés dans les locaux de l'enceinte de confinement parce qu'une trappe de la piscine du réacteur avait été mal fermée.
- La Signification : Bien que sans danger pour l'environnement (l'eau étant restée confinée), cet événement, qualifié de "significatif" par TVO, a eu lieu quelques mois seulement avant la date prévue pour la réception définitive ("Final Takeover"). Il a rappelé que la maîtrise opérationnelle et la culture de sûreté restaient des défis constants, même après 20 ans de projet.
5.3 La Réception Finale Tardive (Juin 2025)
Symbole ultime de la méfiance de TVO, la réception définitive de la centrale ("Final Takeover") n'a été signée que le 20 juin 2025.
- Deux Ans de Probation : Bien que la production commerciale ait débuté en mai 2023, TVO a conservé le levier de l'acceptation finale pendant toute la période de garantie de deux ans. Ce n'est qu'à cette date que la responsabilité contractuelle a été pleinement transférée, libérant enfin les fournisseurs français de leur "liberté sous caution" contractuelle.
6. Analyse Comparative et Conséquences Stratégiques
L'impact d'Olkiluoto 3 dépasse largement les frontières de la Finlande. Ce projet a redéfini la réputation de l'industrie nucléaire française à l'international et a servi de contre-exemple absolu pour les projets futurs.
6.1 La Destruction du Mythe de la "Série"
La doctrine industrielle française reposait sur "l'effet de série" : construire des réacteurs identiques pour réduire les coûts. Les échecs simultanés d'Olkiluoto 3 et de Flamanville 3 (qui a accumulé ses propres retards massifs et surcoûts, passant de 3,3 à 19,1 milliards d'euros selon la Cour des Comptes ) ont prouvé que l'EPR était trop complexe pour bénéficier aisément de cet effet d'apprentissage immédiat. Chaque chantier a rencontré des problèmes uniques, transformant chaque réacteur en un prototype coûteux.
6.2 Le Bilan Financier Comparé
Le tableau suivant résume le transfert de valeur opéré par ce projet :
Entité |
Bilan Financier |
Analyse |
TVO (Finlande) |
Actif de 11 Md€ acquis pour ~5,5 Md€ |
Succès stratégique. Production de ~30% de l'électricité finlandaise à coût maîtrisé. |
Areva / État Français |
Pertes cumulées > 5,5 Md€ |
Désastre. Subvention indirecte à l'économie finlandaise par le contribuable français. |
6.3 Conséquences sur les Exportations
Les déboires d'OL3 ont durablement terni l'image de l'EPR à l'export. La complexité de construction et les risques de délais infinis ont dissuadé de nombreux clients potentiels. Le modèle "clé en main" a été abandonné par EDF pour les projets suivants (comme Hinkley Point C au Royaume-Uni), où les risques sont davantage partagés avec le client ou subventionnés par des mécanismes de garantie de prix (Contract for Difference), tirant les leçons douloureuses de l'expérience finlandaise.
Conclusion : Une Leçon de Réalisme Industriel
La construction de la centrale d'Olkiluoto 3 restera dans les annales comme l'exemple parfait de ce qu'il ne faut pas faire dans un grand projet industriel. La Finlande a humilié EDF et Areva non pas par une hostilité politique, mais par une rigueur contractuelle et réglementaire implacable.
Face à l'arrogance d'un fournisseur persuadé que sa technologie était infaillible et que ses méthodes ne pouvaient être remises en cause, la Finlande a opposé la froideur des faits, des inspections physiques et des clauses juridiques. Le résultat est paradoxal : la Finlande dispose aujourd'hui de l'un des réacteurs les plus puissants et performants au monde , un pilier de sa souveraineté énergétique, acquis à moitié prix. Pour la France, OL3 est un monument à la perte de compétence industrielle et un avertissement coûteux : dans le nucléaire, la réputation passée ne garantit ni la sûreté présente ni la réussite future. La reconstruction de la filière nucléaire française, incarnée par les projets EPR2, se fait aujourd'hui sur les ruines fumantes d'Areva, calcinées par l'expérience finlandaise.
Annexe Statistique : Performance et Incidents du Projet
Tableau 1 : Chronologie des Défaillances et Incidents Majeurs (2022-2025)
Date |
Type d'Incident |
Description Détaillée |
Impact Opérationnel |
Source |
Oct 2022 |
Défaillance Matérielle |
Fissures dans les impulseurs des pompes d'alimentation |
Retard de la mise en service commerciale de plusieurs mois |
|
Juin 2024 |
Déclenchement Turbine |
Dysfonctionnement de la mesure de pression différentielle |
Interruption subite de la production (Trip) |
|
Nov 2024 |
Défaillance Système |
Dysfonctionnement du système d'huile d'étanchéité du générateur |
Arrêt de production non planifié |
|
Mars 2025 |
Erreur Humaine |
Fuite de 100 m³ d'eau radioactive dans l'enceinte de confinement |
Incident significatif lors de l'arrêt annuel, nettoyage requis |
Tableau 2 : Performance de Production d'Olkiluoto 3 (2024-2025)
Indicateur |
Valeur |
Contexte |
Source |
Production 2024 |
9,69 TWh |
Première année complète de production |
|
Facteur de Disponibilité |
76,1 % (2024) |
Impacté par les arrêts techniques et maintenances |
|
Part dans le Mix Finlandais |
~12-14 % |
OL3 seule produit environ 1/8e de l'électricité du pays |
|
Puissance Installée |
1 600 MWe |
Plus grand réacteur d'Europe en opération |
Sources des citations
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Lessons Learned from Olkiluoto 3 Plant - Power Engineering, https://www.power-eng.com/nuclear/lessons-learned-from-olkiluoto-3-plant/ 7. teollisuuden voima oyj credit investor presentation 30 september 2025 - tvo.fi, https://www.tvo.fi/material/sites/tvo/sijoittajasivut/zscqh3h96/TVO_-_Credit_Investor_Presentation_-_30_September_2025.pdf 8. Nuclear Power in Finland, https://world-nuclear.org/information-library/country-profiles/countries-a-f/finland 9. Finnish Regulator Approves Olkiluoto-3 Instrumentation & Control System, https://www.worldnuclearreport.org/Finnish-Regulator-Approves.html 10. Managing Safety In Subcontractor Networks: The Case Of Olkiluoto3 Nuclear Power Plant Construction Project - Presses des Mines - OpenEdition Books, https://books.openedition.org/pressesmines/1065?lang=en 11. Safety threats in Olkiluoto | BankTrack, https://www.banktrack.org/manage/ems_files/download/safety_threats_in_olkiluoto 12. 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TVO wins 3rd ICC arbitration over Olkiluoto-3 nuclear project (Finland) - Enerdata, https://www.enerdata.net/publications/daily-energy-news/tvo-wins-3rd-icc-arbitration-over-olkiluoto-3-nuclear-project-finland.html 18. TVO increases claim against Areva-Siemens in arbitration - World Nuclear News, https://world-nuclear-news.org/Articles/TVO-increases-claim-against-Areva-Siemens-in-arbit 19. Global Settlement Agreement between TVO and AREVA-Siemens - Orano, https://cdn.orano.group/arevasa/News/docs/CP_groupe/2018/PR_Global%20Settlement%20Agreement%20between%20TVO%20and%20AREVA%20Siemens.pdf 20. TVO confirms agreement on Olkiluoto 3 project completion and related disputes | Fortum, https://www.fortum.com/media/2018/03/tvo-confirms-agreement-olkiluoto-3-project-completion-and-related-disputes 21. Areva - Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Areva 22. Areva implements capital increases - World Nuclear News, https://world-nuclear-news.org/Articles/Areva-implements-capital-increases 23. Commission Decision (EU) 2017/1021 of 10 January 2017 on State aid SA.44727 2016/C (ex 2016/N) which France is planning to implement in favour of the Areva group (notified under document C(2016) 9029) (Only the French text is authentic) (Text with EEA relevance) - Legislation.gov.uk, https://www.legislation.gov.uk/eudn/2017/1021/introduction/data.xht?view=snippet&wrap=true 24. Olkiluoto Nuclear Power Plant - Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Olkiluoto_Nuclear_Power_Plant 25. Olkiluoto 3 EPR's test production to continue - TVO, https://www.tvo.fi/en/index/news/pressreleasesstockexchangereleases/2022/olkiluoto3epr8217stestproductiontocontinue.html 26. Human error leads to water spill at Finnish EPR - World Nuclear News, https://www.world-nuclear-news.org/articles/human-error-leads-to-water-spill-at-finnish-epr 27. TVO completes Final Takeover of Olkiluoto 3 - World Nuclear News, https://www.world-nuclear-news.org/articles/tvo-completes-final-takeover-of-olkiluoto-3 28. 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