Incident Orano Malvési : Enquête complète

Incident Orano Malvési : Enquête complète

L'incident survenu le 5 juillet 2023, au cours duquel un hélicoptère a prélevé et largué de 2000 litres d'eau issue d'un bassin du site Orano Malvési lors d'un incendie à Montredon-des-Corbières 1, met en lumière les enjeux critiques associés à cette installation industrielle majeure. Cet événement, qui sera détaillé exhaustivement dans la section III de ce rapport, souligne l'importance d'une analyse approfondie du site Orano Malvési, de ses activités spécifiques, de la nature complexe de ses effluents, ainsi que des cadres réglementaires et des dispositifs de sécurité qui l'encadrent. Le présent rapport a pour objectif de fournir une enquête complète sur ces différents aspects, en commençant par une présentation du contexte général et du rôle stratégique du site Orano Malvési.

I. Introduction et Contexte Général du Site Orano Malvési

II. Caractérisation Détaillée des Effluents des Bassins d'Orano Malvési

III. L'Incident du 5 Juillet 2023 à Montredon-des-Corbières : Utilisation d'Eau Radioactive

IV. Réactions Officielles, Gestion de l'Incident et Transparence

V. Cadre Réglementaire, Historique des Incidents et Sécurité du Site Orano Malvési

VI. Analyse Globale des Risques, Enjeux et Recommandations

VII. Conclusion Générale de l'Enquête



I. Introduction et Contexte Général du Site Orano Malvési

A. Présentation des activités industrielles et du rôle stratégique du site dans le cycle du combustible nucléaire français.

Le site Orano Malvési, implanté sur la commune de Narbonne dans le département de l'Aude, constitue une installation industrielle d'importance capitale pour le cycle du combustible nucléaire en France. Historiquement, il est considéré comme la porte d'entrée de l'uranium naturel sur le territoire national.3 Sa fonction première est d'assurer la première étape de la conversion chimique de l'uranium. Cette opération consiste à transformer les concentrés miniers d'uranium, communément appelés « yellow cake », en tétrafluorure d'uranium (UF4​).3 Ce composé, UF4​, est une matière première essentielle qui est ensuite majoritairement acheminée vers le site Orano Tricastin (Drôme) pour y subir une seconde transformation en hexafluorure d'uranium (UF6​), une forme gazeuse nécessaire à l'étape ultérieure d'enrichissement de l'uranium.3

L'usine de Malvési, dont la construction a débuté en 1958 et qui fut inaugurée en 1959 7, possède une capacité de production nominale qui la positionne comme un acteur majeur à l'échelle internationale, représentant une fraction significative de la capacité mondiale de conversion de l'uranium.6 Au-delà de cette activité historique, le site a récemment initié une diversification de sa production avec la mise en service d'un atelier destiné à la fabrication de dioxyde d'uranium (UO2​).4

La longévité de cette installation industrielle, opérant depuis plus de six décennies, et son rôle central et continu dans l'approvisionnement de la filière nucléaire française, soulèvent des questions inhérentes à la gestion des déchets et des effluents accumulés au fil du temps. Le traitement de l'uranium, en particulier avec les technologies employées par le passé, a généré des volumes considérables de résidus. Ces derniers, qu'ils soient solides ou liquides, présentent des caractéristiques chimiques et radiologiques qui exigent une gestion rigoureuse et à long terme. Ainsi, aux défis posés par les opérations courantes s'ajoute la problématique des passifs environnementaux, constituant un héritage industriel dont la maîtrise est un enjeu permanent pour l'exploitant et les autorités de contrôle.

B. Description détaillée des processus de conversion de l'uranium et de la génération des effluents nitratés et autres résidus.

Le procédé de conversion de l'uranium sur le site de Malvési est un enchaînement complexe d'opérations chimiques visant à purifier les concentrés uranifères et à les transformer en UF4​. Les étapes fondamentales de ce processus comprennent 3 :

Les effluents liquides, dits "nitratés", sont le principal sous-produit de ce processus, notamment issus de l'étape de purification où les impuretés contenues dans les concentrés miniers (environ 2% 6) sont séparées de l'uranium. Ces effluents subissent une neutralisation, par exemple par l'ajout de chaux 6, avant d'être dirigés vers une vaste zone de lagunage. Cette zone est constituée de plusieurs types de bassins 3 :

L'évolution des procédés industriels au fil des décennies, comme l'introduction de la technologie Isoflash en remplacement de la précipitation ammoniacale 3, a nécessairement eu un impact sur la composition chimique des effluents générés. Les effluents produits avant cette modification contenaient vraisemblablement des concentrations plus importantes de composés ammoniacaux.7 Étant donné que les bassins de lagunage reçoivent et stockent des effluents produits sur de longues périodes 6, il est plausible que la composition des liquides et des boues varie d'un bassin à l'autre, ou même au sein de différentes strates d'un même bassin. Cette hétérogénéité potentielle complexifie la caractérisation exhaustive des effluents et l'évaluation globale des risques associés, car une analyse ponctuelle pourrait ne pas être représentative de l'ensemble des matières entreposées.

II. Caractérisation Détaillée des Effluents des Bassins d'Orano Malvési

A. Inventaire des substances chimiques présentes dans les effluents.

Les effluents liquides stockés dans les bassins d'évaporation du site Orano Malvési sont principalement des solutions aqueuses concentrées en sels, avec une prédominance de nitrate de calcium (Ca(NO3​)2​).6 Cependant, leur composition est loin d'être simple. Outre les nitrates, divers autres polluants chimiques ont été identifiés ou sont suspectés d'être présents. Il s'agit notamment de fluorures (provenant de l'utilisation d'acide fluorhydrique et présents dans les boues de fluorine), de nitrates (constituant majeur des liquides), d'ammonium (surtout dans les effluents plus anciens issus des procédés antérieurs à Isoflash), de chlorures, et d'une variété de métaux lourds.11 Les boues de décantation (RTCU) sont composées en grande partie de fluorures et de sulfates de calcium, mais aussi de divers métaux tels que le fer (Fe), le molybdène (Mo), le zirconium (Zr), l'aluminium (Al) et le sodium (Na).6

La question de la présence de dioxines et furanes a également été soulevée, notamment par l'association Rubresus dans le contexte du projet de Traitement Des Nitrates (TDN). Selon cette association, le procédé TDN, qui implique une combustion à haute température en présence de chlore, pourrait générer ces composés hautement toxiques.13 Orano (anciennement AREVA NC) a contesté cette affirmation, arguant que les conditions du procédé ne favoriseraient pas leur formation ou qu'elles seraient piégées.13

Les principaux produits chimiques utilisés sur le site, et donc susceptibles de se retrouver, même à l'état de traces ou sous forme de produits de réaction, dans les effluents ou les rejets atmosphériques, sont l'acide nitrique (HNO3​), l'acide fluorhydrique (HF) et l'ammoniac (NH3​).9 Ces substances présentent des dangers intrinsèques importants (toxicité, corrosivité).9

La présence simultanée de multiples polluants chimiques dans les effluents, en plus des substances radioactives (détaillées ci-après), constitue une source de préoccupation particulière. Les évaluations toxicologiques se concentrent souvent sur les effets de substances isolées. Or, les interactions entre différents composés au sein d'un mélange complexe peuvent conduire à des effets synergiques (où l'effet combiné est supérieur à la somme des effets individuels), additifs ou antagonistes. Ces effets cocktails sont rarement étudiés en profondeur pour des mélanges industriels aussi variés, ce qui rend l'évaluation complète des risques sanitaires et environnementaux particulièrement ardue. La simple mention de la possibilité de formation de dioxines, même si elle est débattue, est un indicateur de la complexité des enjeux chimiques sur le site.

B. Inventaire des radionucléides présents dans les effluents.

1. Les 47 radionucléides identifiés :

Une information cruciale, régulièrement mise en avant par la Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD), provient de l'étude d'impact dosimétrique réalisée par AREVA en 2015 dans le cadre du dossier d'autorisation du projet de Traitement Des Nitrates (TDN). Selon cette étude, les "effluents nitratés" stockés dans les bassins d'évaporation du site de Malvési contiendraient pas moins de 47 substances radioactives différentes.11 Malgré l'importance de cette donnée pour l'évaluation des risques, la liste exhaustive et détaillée de ces 47 radionucléides, avec leurs concentrations respectives, n'est pas publiquement accessible dans les documents de recherche qui ont été consultés pour la préparation du présent rapport.4 Cette absence d'information constitue un obstacle majeur à une analyse pleinement transparente et indépendante des risques radiologiques associés à ces effluents. La divulgation complète de cette liste par Orano ou par les autorités réglementaires compétentes (ASN, Ministère de l'Environnement) demeure un enjeu de transparence fondamental.

2. Analyse spécifique du thorium 230 (230Th), de l'actinium 227 (227Ac), et du plutonium 238 (238Pu) :

Parmi les 47 radionucléides, la CRIIRAD, en se référant à l'étude AREVA de 2015, a spécifiquement mis en exergue la présence de thorium 230, d'actinium 227 et de plutonium 238, soulignant leur très forte radiotoxicité, notamment en cas d'inhalation.11

3. Autres radionucléides notables :

Outre ces éléments spécifiquement cités, les effluents contiennent naturellement les isotopes de l'uranium présents dans les minerais traités : uranium 238 (238U), uranium 235 (235U), et uranium 234 (234U), ainsi que leurs nombreux produits de filiation radioactive.6 Le technétium 99 (99Tc), un produit de fission de longue demi-vie (211 100 ans) émetteur bêta, a été mentionné par la CRIIRAD comme une substance potentiellement présente et difficile à mesurer dans le contexte de l'incident de juillet 2023.1 Sa présence dans des effluents de conversion d'uranium naturel serait toutefois inattendue s'il s'agit exclusivement de traitement de minerais vierges, car il est typiquement associé au traitement de combustible nucléaire usé. Néanmoins, certains minerais peuvent contenir des traces de produits de fission naturels ou des contaminations croisées ne sont jamais totalement exclues dans des installations ayant un long historique. La présence d'américium (Am), un transuranien émetteur alpha et gamma, descendant du plutonium, a également été confirmée dans des boues qui avaient été relâchées lors d'un incident antérieur.7

L'identification d'un spectre aussi large que 47 radionucléides différents, incluant des émetteurs alpha de haute radiotoxicité tels que le plutonium 238, l'actinium 227 et le thorium 230, dans des effluents liquides stockés dans des bassins d'évaporation à ciel ouvert 11, constitue une source de préoccupation environnementale et sanitaire majeure. La dispersion de fines gouttelettes de ces effluents, sous forme d'aérosols ou d'"embruns" générés par l'action du vent sur la surface des bassins 11, représente une voie d'exposition chronique potentielle par inhalation pour les populations riveraines et une source de contamination diffuse pour l'écosystème environnant. L'inhalation est la voie d'exposition la plus critique pour les émetteurs alpha, car leur rayonnement, bien que peu pénétrant, est très ionisant et peut causer des dommages cellulaires importants s'ils sont déposés dans les poumons. L'évaluation précise de l'impact sanitaire de cette dispersion chronique est complexe et nécessiterait une caractérisation exhaustive des aérosols (granulométrie, composition chimique et radiologique) ainsi qu'une modélisation fine de leur transport atmosphérique et des doses associées.

C. Niveaux de radioactivité (Bq/L) et de toxicité chimique des effluents.

Les données concernant les niveaux de radioactivité des effluents liquides contenus dans les bassins d'évaporation du site Orano Malvési présentent des divergences notables selon les sources. La CRIIRAD, se fondant sur des documents internes d'AREVA (ancien nom d'Orano), rapporte que la radioactivité moyenne de ces effluents est de 7 177 Becquerels par litre (Bq/L), avec une valeur maximale atteignant 13 242 Bq/L.1 Ces chiffres concernent la radioactivité totale des 47 radionucléides identifiés. Par ailleurs, des analyses de boues de décantation effectuées par le laboratoire de la CRIIRAD dans le passé ont révélé des activités massiques considérables, dépassant les 500 000 Bq/kg, avec la présence confirmée de plutonium.11

En contraste, la communication d'Orano tend à minimiser la portée de cette radioactivité. Par exemple, Nathalie Bonnefoy, directrice de la communication de la business unit chimie et enrichissement d'Orano, a assuré que "ces effluents ne présentent qu'une très faible activité radioactive".12

Cette divergence dans la présentation des niveaux de radioactivité est significative. Bien que des concentrations de l'ordre de quelques milliers de Bq/L puissent être considérées comme "faibles" par certains standards industriels pour des rejets contrôlés et après traitement, elles prennent une autre dimension lorsqu'il s'agit d'effluents bruts stockés en très grands volumes à l'air libre. En 2023, le volume d'effluents liquides entreposés dans les bassins d'évaporation B7 à B12 était de 393 000 m3.5 En considérant une activité volumique moyenne de 7 177 Bq/L, l'inventaire total de radioactivité dans ces seuls bassins d'effluents liquides pourrait être estimé à environ 2,8×1012 Bq, soit 2,8 TéraBecquerels. Cet inventaire radiologique total, dispersé dans un volume important, n'est pas négligeable. La manière dont ces niveaux sont communiqués – "très faible activité" versus des chiffres précis en Bq/L – influence directement la perception du risque par le public et peut affecter la confiance envers l'exploitant et les autorités de contrôle.

Le tableau suivant synthétise les informations disponibles sur les principaux polluants identifiés. Il est important de noter que les données de concentration spécifiques pour de nombreux polluants chimiques et pour chacun des 47 radionucléides ne sont pas disponibles dans les sources consultées.

Tableau 1: Récapitulatif des principaux polluants chimiques et radionucléides identifiés dans les effluents des bassins d'Orano Malvési.


Polluant (Nom chimique / Radionucléide)

Type

Concentration/Activité moyenne rapportée

Concentration/Activité maximale rapportée

Source de l'information

Seuil réglementaire pertinent (à titre indicatif)

Nitrates

Chimique

Constituant majeur

N/D

3

Eau potable: 50 mg/L (Directive 98/83/CE). Non directement applicable aux effluents industriels stockés, mais donne un ordre de grandeur.

Fluorures

Chimique

N/D

N/D

6

Eau potable: 1,5 mg/L (OMS).

Ammonium

Chimique

N/D (surtout historiquement)

N/D

7

Varie selon les réglementations de rejet.

Chlorures

Chimique

N/D

N/D

11

Eau potable: 250 mg/L (valeur indicative UE).

Métaux lourds (variés)

Chimique

N/D

N/D

11

Seuils spécifiques pour chaque métal dans les rejets.

Uranium (total, 238U, 234U)

Radioactif

N/D (traces dans liquides 6)

N/D

6

OMS (eau potable, U total): 30 µg/L (toxicité chimique).

Thorium 230 (230Th)

Radioactif

N/D

N/D

11

Pas de seuil simple pour effluents stockés. Radiotoxicité élevée par inhalation.

Actinium 227 (227Ac)

Radioactif

N/D

N/D

11

Pas de seuil simple pour effluents stockés. Radiotoxicité élevée par inhalation.

Plutonium 238 (238Pu)

Radioactif

N/D (confirmé dans boues 11)

N/D

11

Pas de seuil simple pour effluents stockés. Radiotoxicité très élevée par inhalation. Limite de détection pour rejets alpha: 0,37 Bq/L à 1 Bq/L (exemple réglementation site 18).

Radioactivité alpha totale (liquides)

Radioactif

N/D

N/D


Directive 2013/51/Euratom (eau potable): 0,10 Bq/L (valeur de référence).19

Radioactivité bêta totale (liquides)

Radioactif

N/D

N/D


Directive 2013/51/Euratom (eau potable): 1,0 Bq/L (valeur de référence).19

Radioactivité totale (effluents liquides)

Radioactif

7 177 Bq/L

13 242 Bq/L

CRIIRAD citant AREVA 1

Non applicable directement. Les limites de rejet sont spécifiques à chaque installation et radionucléide. OMS (Tritium eau potable): 10 000 Bq/L.19 Directive 2013/51/Euratom (Tritium eau potable): 100 Bq/L (valeur paramétrique).19

Radioactivité des boues (totale)

Radioactif

> 500 000 Bq/kg (incluant Pu)

N/D

CRIIRAD 11

Classement en déchet radioactif FA-VL (Faible Activité - Vie Longue).

N/D : Non disponible dans les documents consultés.

Les seuils réglementaires sont fournis à titre indicatif et peuvent ne pas être directement applicables aux effluents stockés, mais plutôt aux rejets dans l'environnement ou à la qualité de l'eau potable. Ils servent à contextualiser les niveaux de contamination.

III. L'Incident du 5 Juillet 2023 à Montredon-des-Corbières : Utilisation d'Eau Radioactive

A. Description factuelle de l'incident : Prélèvement et largage d'eau d'un bassin d'Orano Malvési par un hélicoptère.

Le 5 juillet 2023, un événement singulier et préoccupant s'est produit dans le contexte d'un important feu de forêt qui sévissait sur la commune de Montredon-des-Corbières, située à proximité de Narbonne.20 Un hélicoptère bombardier d'eau appartenant à la Sécurité Civile, et basé à Carcassonne, a effectué un prélèvement d'eau estimé à environ 2 000 litres directement depuis l'un des bassins de l'usine Orano Malvési.1 Les sources divergent légèrement sur la nature exacte du bassin, certaines parlant de "bassin d'évaporation" 1, d'autres de "bassin de décantation".21 Quelle que soit sa désignation précise, il s'agissait d'un bassin contenant des effluents industriels du site.

Cette eau, chargée de polluants chimiques et radioactifs, a ensuite été larguée par l'hélicoptère sur la zone de l'incendie. De manière particulièrement inquiétante, un équipage de sapeurs-pompiers qui luttait contre le feu au sol a été directement aspergé par ce largage.1

L'information concernant cet incident n'a été rendue publique que près d'un mois plus tard, le 2 août 2023, par une publication du journal régional "L'Indépendant". Cet article citait comme source la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de Crise (DGSCGC), une entité relevant du ministère de l'Intérieur.1

Cet événement soulève d'emblée de graves questions quant à la sécurité et à la coordination des opérations. Le site Orano Malvési est classé Seveso seuil haut 9, ce qui implique des mesures de sécurité et de contrôle d'accès strictes. Le fait qu'un aéronef ait pu pénétrer l'espace aérien au-dessus des installations sensibles et y effectuer un prélèvement sans autorisation ni alerte immédiate suggère une défaillance soit dans la surveillance périmétrique du site, soit dans la signalisation des dangers aux aéronefs opérant à proximité. De plus, cela interroge les protocoles de coordination entre les services de secours (SDIS de l'Aude, Sécurité Civile) et l'exploitant d'une installation industrielle à risques majeurs lors d'interventions d'urgence dans le voisinage immédiat du site.

B. Analyse de la nature et de la dangerosité de l'eau impliquée (composition chimique et radiologique estimée).

L'eau prélevée par l'hélicoptère provenait, comme indiqué précédemment, d'un des bassins de traitement des effluents du site Orano Malvési. Ces bassins, qu'ils soient de décantation ou d'évaporation, contiennent des "effluents nitratés" qui, loin d'être de simples solutions salines, sont également chargés de substances radioactives.1

En se basant sur les informations issues des documents d'AREVA et relayées par la CRIIRAD, l'eau larguée contenait un mélange complexe des 47 radionucléides précédemment évoqués. La radioactivité volumique moyenne de cette eau est estimée à 7 177 Bq/L, avec un pic potentiel atteignant 13 242 Bq/L.1 Parmi les radionucléides les plus préoccupants du point de vue de la radiotoxicité par inhalation, on retrouve le thorium 230 (230Th), l'actinium 227 (227Ac) et le plutonium 238 (238Pu).1 S'y ajoutent les isotopes de l'uranium et leurs descendants, ainsi que divers polluants chimiques, au premier rang desquels les nitrates.

Le largage de 2 000 litres d'une telle eau représente une dispersion non contrôlée d'environ 1,4×107 Becquerels (soit 14 MégaBecquerels) de radioactivité mixte, accompagnée de sa charge chimique, directement dans l'environnement (sur la zone de l'incendie) et sur le personnel de secours. Même si la dose radioactive reçue par les pompiers a pu être évaluée comme faible par les autorités (voir section suivante), toute exposition non planifiée et non maîtrisée à un tel cocktail de contaminants, surtout s'il inclut des émetteurs alpha pour lesquels la contamination interne est le principal risque, est un événement sérieux. La contamination environnementale induite, bien que probablement localisée à la zone de largage, s'ajoute au fardeau polluant existant et peut affecter les sols, la végétation et potentiellement les eaux de surface si le largage a eu lieu à proximité d'un cours d'eau ou d'une zone de ruissellement.

C. Conséquences avérées et potentielles de l'incident (sur l'équipage de pompiers, l'environnement de la zone de largage).

Les conséquences directes de cet incident ont d'abord concerné l'équipage de sapeurs-pompiers qui a été "impacté par un largage".1 Selon des déclarations de la sous-préfète de l'Aude, rapportées par "L'Indépendant" et citées par la CRIIRAD, des prélèvements auraient été effectués sur la zone de largage ainsi que sur les pompiers concernés. Les résultats des examens médicaux et des analyses auraient "démontré l'innocuité de cette exposition".1 Il a également été mentionné que des contrôles complémentaires sur les pompiers auraient été réalisés sur le site nucléaire de Marcoule (Gard), qui dispose d'installations médicales spécialisées dans le suivi des expositions radiologiques.1

Cependant, la CRIIRAD a émis de sérieuses réserves quant à ces affirmations rassurantes, en l'absence de publication transparente et détaillée des données d'analyse et des évaluations dosimétriques. L'organisation indépendante a souligné la nécessité d'obtenir des précisions sur les conditions exactes d'exposition des pompiers (surface corporelle touchée, durée, protection respiratoire éventuelle), sur la méthodologie des analyses environnementales, et sur la capacité des laboratoires à détecter et quantifier l'ensemble des 47 radionucléides potentiellement présents, y compris des éléments comme le technétium 99, dont la mesure peut s'avérer complexe.1

Concernant l'impact environnemental sur la zone de largage à Montredon-des-Corbières, les informations disponibles dans les documents consultés sont lacunaires. Néanmoins, la dispersion de 2 000 litres d'effluents contenant des nitrates, des métaux lourds et un spectre de radionucléides a inévitablement entraîné une contamination localisée des sols et de la végétation. L'ampleur et la persistance de cette contamination dépendraient de nombreux facteurs, tels que la nature du sol, le type de végétation, les conditions météorologiques post-largage, et la mobilité environnementale des différents polluants. Sans analyses détaillées et publiques de la zone impactée, il est difficile d'évaluer précisément cet impact.

L'affirmation d'"innocuité" par les autorités, en l'absence de données scientifiques complètes, accessibles et vérifiables par des tiers indépendants, reste sujette à caution. Cette situation est particulièrement problématique lorsqu'il s'agit d'une exposition à un mélange aussi complexe de substances, incluant des émetteurs alpha pour lesquels la contamination interne, même à faibles doses, peut induire des risques stochastiques à long terme. Une telle approche de communication risque d'entamer la confiance du public et des travailleurs potentiellement exposés.

IV. Réactions Officielles, Gestion de l'Incident et Transparence

A. Communications et positionnement d'Orano.

La réaction officielle d'Orano à l'incident du 5 juillet 2023 n'est pas clairement explicitée dans les documents disponibles. De manière notable, le "Rapport d'information du site Orano Malvési - 2023", publié en juin 2024 et donc postérieur à l'événement, ne semble faire aucune mention de cet incident spécifique de prélèvement d'eau par hélicoptère.5 Ce rapport, qui est pourtant un document légalement requis (article L.125-15 du Code de l'environnement 9) visant à informer le public sur les activités, les risques, et les incidents survenus sur le site, se contente de rappeler que les bassins d'évaporation B7 à B12 contiennent 393 000 m3 d'effluents liquides nitratés et que l'établissement est classé Seveso seuil haut.5

Cette omission apparente est significative. Même si l'action initiale (le prélèvement) a été le fait d'un acteur externe (la Sécurité Civile), l'incident implique directement les matières entreposées sur le site Orano et a des implications en termes de sécurité périmétrique et de conséquences environnementales potentielles. On pourrait s'attendre à ce qu'un tel événement soit rapporté dans la section dédiée aux "incidents et accidents".9

La communication habituelle d'Orano concernant ses effluents tend à les qualifier d'"effluents nitratés", en mettant l'accent sur leur composition chimique majoritaire et en minimisant leur caractère radioactif, souvent qualifié de "très faible".12 Cette approche contraste avec les données issues des propres documents d'AREVA (devenu Orano) qui font état de niveaux de radioactivité non négligeables et d'une grande diversité de radionucléides.1 L'absence de mention de l'incident dans le rapport annuel 2023 soulève des interrogations sur la politique de transparence de l'entreprise vis-à-vis des événements susceptibles d'affecter la perception de la sécurité ou de l'impact environnemental de ses installations.

B. Déclarations, enquêtes et mesures prises par les autorités compétentes (Préfecture de l'Aude, DGSCGC, ASN, IRSN).

La première information publique sur l'incident a émané de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de Crise (DGSCGC), via une dépêche du journal "L'Indépendant" le 2 août 2023.1 Cette reconnaissance officielle de l'événement par une autorité étatique est un point de départ.

Suite à cela, la sous-préfète de l'Aude a communiqué publiquement, principalement pour rassurer quant aux conséquences sur les pompiers exposés, affirmant "l'innocuité de cette exposition" après la réalisation de prélèvements et d'examens.1

L'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) aurait été mobilisé pour effectuer des analyses environnementales sur la zone de largage.1 Il est à noter que l'IRSN a initié en 2021 une Étude Radiologique de Site (ERS) d'une durée prévisionnelle de trois ans concernant le site Orano de Malvési.11 La CRIIRAD a indiqué avoir demandé une copie du rapport de cette ERS en août 2024, qui n'était alors pas encore disponible.11 Les résultats spécifiques des analyses de l'IRSN liées à l'incident du 5 juillet n'ont pas été détaillés dans les sources consultées.

Concernant l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), la CRIIRAD a relevé qu'aucune déclaration d'incident relative à cet événement spécifique n'avait été publiée sur le site internet de l'Autorité.1 Les documents de l'ASN accessibles 27 ne font pas mention directe de cet incident. Le document INSSN-MRS-2024-0689 29 fait état d'une inspection menée à Orano Malvési le 13 novembre (probablement 2023, étant donné la date de publication du courrier en 2024) portant sur "l'expédition de matières radioactives", ce qui ne semble pas directement lié à l'incident de prélèvement d'eau. Une autre communication de l'ASN 30 mentionne une réunion avec Greenpeace en mai 2024 où a été abordé "le développement d'une production de dioxyde d'uranium sur le site d'Orano Malvési", sans lien apparent avec l'incident de juillet 2023.

Les services de la Préfecture de l'Aude ont, par ailleurs, publié divers documents relatifs au site Orano Malvési, notamment concernant le projet TDN et les réponses aux avis de la Mission Régionale d'Autorité environnementale (MRAe).15 Toutefois, ces documents sont soit antérieurs à l'incident, soit ne traitent pas de cet événement spécifique.

La réponse officielle semble donc s'être principalement concentrée sur la gestion des conséquences sanitaires immédiates pour les pompiers. Les informations disponibles ne permettent pas de déterminer si des enquêtes approfondies sur les causes profondes de l'incident (défaillances de sécurité, de coordination, de signalisation) ont été menées et si des mesures correctives systémiques ont été publiquement annoncées ou mises en œuvre. L'absence de déclaration formelle d'incident par l'ASN, si elle est confirmée, constitue également un point d'interrogation notable quant à la qualification de l'événement au regard des critères réglementaires de déclaration.

C. Analyses critiques et interpellations (notamment de la CRIIRAD).

La CRIIRAD a joué un rôle central dans l'analyse critique de cet incident et dans l'interpellation des autorités et de l'exploitant. Dès la révélation de l'affaire par "L'Indépendant", l'organisation a publié une analyse détaillée, qualifiant l'événement de "grave dysfonctionnement" et pointant "l'insuffisance des dispositifs de sécurité" du site Orano Malvési.1

Les principaux points soulevés par la CRIIRAD sont les suivants :

Le journal "L'Indépendant", par son article du 3 août 2023 2, a été le premier à porter ces faits à la connaissance du public, jouant ainsi un rôle crucial de lanceur d'alerte et permettant l'ouverture d'un débat sur les implications de cet incident.

Les analyses et interpellations de la CRIIRAD, en tant qu'organisme scientifique indépendant, sont essentielles. Elles fournissent un contrepoint indispensable aux communications officielles, qui peuvent parfois tendre à minimiser les risques ou à omettre certains aspects critiques. Cette expertise indépendante est vitale pour une évaluation plus complète et objective des risques, et pour stimuler une plus grande transparence et redevabilité de la part des industriels et des autorités de contrôle dans le secteur nucléaire.

V. Cadre Réglementaire, Historique des Incidents et Sécurité du Site Orano Malvési

A. Réglementations applicables (ICPE, INB, classement Seveso "seuil haut", autorisations de rejets).

Le site Orano Malvési est soumis à un encadrement réglementaire multiple et strict, reflétant la diversité et la criticité de ses activités.

Ce millefeuille réglementaire (ICPE, INB, Seveso) met en lumière la complexité des risques inhérents au site Orano Malvési, qui sont à la fois chimiques (toxicité des réactifs, nature des effluents), radiologiques (présence d'uranium et de ses descendants, ainsi que d'autres radionucléides comme le plutonium), et liés à la possibilité d'accidents majeurs (incendie, explosion, rejets massifs). Malgré ce cadre réglementaire théoriquement robuste, l'incident du 5 juillet 2023, impliquant un prélèvement non autorisé d'eau contaminée par un hélicoptère externe, interroge l'efficacité réelle de la mise en œuvre des mesures de prévention, de surveillance et d'intervention d'urgence, particulièrement face à des interférences ou des scénarios non directement initiés par l'exploitant lui-même. Cela suggère que la maîtrise des risques sur un tel site ne dépend pas uniquement des barrières techniques et organisationnelles internes, mais aussi de la robustesse de son interface avec l'environnement extérieur et de sa capacité à anticiper et gérer des événements exogènes.

B. Historique des incidents environnementaux et des non-conformités sur le site.

Le site Orano Malvési, de par sa longue histoire industrielle et la nature de ses activités, a connu plusieurs incidents et accidents ayant eu des conséquences environnementales ou des implications en termes de sûreté. La chronologie suivante, non exhaustive, s'appuie sur les informations disponibles :

Tableau 2: Chronologie des incidents environnementaux et de sûreté significatifs sur le site Orano Malvési.


Date de l'incident

Description brève de l'incident

Substances impliquées

Conséquences rapportées (environnementales, sanitaires, réglementaires)

Source(s) d'information

1974

Fuite d'uranate de magnésium sur les voies ferrées lors d'un transport.

Uranate de magnésium (poudre)

Contamination sur 4 km de voie ferrée. Inspection par des spécialistes de Marcoule.

7

Février 1979

Forte explosion dans le bâtiment de fluoration.

Produits de fluoration (HF potentiellement)

Pas de dispersion de produits radioactifs détectée, ni de vapeurs d'acide selon les rapports de l'époque.

7

8 mars 2004

Rupture d'une digue du bassin de décantation B2.

Effluents nitratés et boues radioactives (environ 15 000 à 30 000 m3).

Déversement sur le site et potentiellement hors site. Contamination des sols. Présence de plutonium et d'américium dénoncée dans les boues. L'usine a été stoppée 12 jours. A contribué au classement d'une partie du site en INB par l'ASN.

7

28 juin 2005

Fuite de gaz sur un wagon d'ammoniac vidangé.

Ammoniac (NH3​)

Incident technique.

7

6 juillet 2005

Défaillance de la sirène du Plan d'Opération Interne/Plan Particulier d'Intervention (POI/PPI).

N/A (équipement de sécurité)

Défaillance d'un système d'alerte.

7

17 octobre 2005

Déraillement d'un wagon d'ammoniac vidangé sur le site.

Ammoniac (NH3​) (wagon vide)

Incident logistique interne.

7

27 octobre 2005

Rejets de vapeurs nitreuses hors norme.

Vapeurs nitreuses (NOx​)

Dépassement des limites de rejet atmosphérique.

7

5 mars 2006

Débordement des bassins de lagunage dû à des vents violents.

Effluents nitratés et radioactifs

Déversement vers le canal de Tauran. Production arrêtée plus de 3 semaines. Construction du bassin B11 en urgence.

7

21-25 août 2009

Déversement de substances nuisibles dans l'environnement.

Fluor et ammonium

Contamination du canal de Tauran, de la Robine, jusqu'à l'étang de Bages-Sigean et Port-la-Nouvelle. Mortalité piscicole. Interdiction d'arrosage agricole. Comurhex condamnée à 60 000 € d'amende en décembre 2011.

7

19 septembre 2018

Explosion d'un fût de 200 litres contenant des matières uranifères recyclables (MUR), suivie d'un départ de feu.

Matières uranifères recyclables

Trois personnes légèrement blessées (brûlures, acouphènes). Incident dans le hangar 17BE lors d'une prise d'échantillon.

7

Cet historique met en évidence une récurrence d'événements affectant l'environnement et la sûreté des installations. Les causes sont variées : défaillances d'infrastructures (digues), erreurs humaines ou de procédure, événements climatiques, problèmes techniques sur les équipements. Ces incidents ont conduit à des rejets de polluants chimiques (ammoniac, fluor, nitrates, vapeurs nitreuses) et radioactifs (uranium, plutonium, effluents nitratés contenant des radionucléides) dans l'air, l'eau et les sols. La répétition de tels événements, malgré les mesures correctives prises après chaque incident, suggère l'existence potentielle de problèmes systémiques liés à la culture de sûreté, à la gestion du vieillissement des installations, ou à l'adéquation des procédures face à la complexité des opérations. Chaque nouvel incident, y compris celui du 5 juillet 2023, doit donc être analysé non pas comme un événement isolé, mais dans la perspective de cet historique chargé, afin d'identifier d'éventuelles faiblesses persistantes dans la maîtrise des risques.

C. Dispositifs de sécurité, plans d'urgence (POI) et interdictions (ex: prélèvement d'eau des bassins).

En tant qu'installation classée Seveso seuil haut, le site Orano Malvési est tenu de mettre en œuvre des dispositifs de sécurité et des plans d'urgence robustes. Le Plan d'Opération Interne (POI) est un document clé de cette organisation, décrivant les mesures à prendre en cas d'accident pour protéger le personnel, la population et l'environnement.22 Ironiquement, une défaillance de la sirène d'alerte POI/PPI a été enregistrée en 2005, soulignant l'importance de la fiabilité de ces systèmes.7 Les mesures de prévention des accidents majeurs incluent des règles strictes telles que l'interdiction des feux nus, l'obligation d'autorisations de travail et de permis de feu pour les opérations à risque, ainsi que la séparation des zones de stockage pour les produits chimiquement incompatibles (par exemple, l'oxygène et les matières combustibles).22

Malgré ces dispositifs, la CRIIRAD a, suite à l'incident du 5 juillet 2023, réitéré ses préoccupations concernant ce qu'elle perçoit comme une "insuffisance des dispositifs de sécurité" pour prévenir les intrusions ou les actions externes non maîtrisées. L'organisation a rappelé avoir dénoncé dès 2006 le risque que représentait le stockage à l'air libre d'importantes quantités de fûts de concentrés d'uranium, une situation qui, selon elle, n'aurait pas fondamentalement évolué.1

Concernant une interdiction spécifique de prélèvement d'eau des bassins du site par les services de secours, tels que les sapeurs-pompiers du SDIS, pour la lutte contre les incendies, les documents consultés ne fournissent pas d'information explicite.9 Les rapports d'information annuels d'Orano Malvési pour 2019 et 2020 9, bien qu'ils détaillent le classement Seveso et les mesures générales de sécurité, ne mentionnent pas de telles interdictions spécifiques ou de protocoles de communication à destination des moyens aériens de lutte anti-incendie.

L'incident du 5 juillet 2023 met crûment en lumière une lacune potentielle dans les plans d'urgence et, plus spécifiquement, dans la coordination avec les services d'intervention externes lors d'opérations se déroulant à proximité immédiate du site. Si les bassins contenant des effluents contaminés ne sont pas clairement et explicitement signalés comme des sources d'eau impropres, voire dangereuses, pour les opérations de ravitaillement des hélicoptères bombardiers d'eau, ou si les équipages de ces aéronefs ne sont pas systématiquement informés de ces restrictions spécifiques lors de leur engagement près de sites Seveso comme Malvési, le risque de prélèvements erronés et de dispersion accidentelle de contaminants persiste. Cet événement souligne la nécessité d'une cartographie précise des dangers sur site, accessible et communiquée aux intervenants externes, et d'une intégration de ces contraintes spécifiques dans leurs propres plans d'intervention.

VI. Analyse Globale des Risques, Enjeux et Recommandations

A. Évaluation des risques sanitaires et environnementaux associés aux effluents et aux activités du site.

Les activités du site Orano Malvési et la nature des effluents et résidus qu'il génère et entrepose engendrent des risques sanitaires et environnementaux complexes et multifactoriels. Ces risques découlent de deux sources principales de danger :

La dispersion d'aérosols radioactifs et chimiques par l'action du vent sur les vastes surfaces des bassins d'évaporation à ciel ouvert constitue une voie d'exposition chronique pour les populations riveraines et une source de contamination diffuse de l'environnement.11 Des études menées par la CRIIRAD ont d'ailleurs mis en évidence des concentrations excessives d'uranium dans des échantillons de végétation prélevés aux alentours du site, témoignant de cette dispersion.11 Les incidents passés, tels que la rupture de digue en 2004 ou les déversements dans les canaux 7, ont conduit à des contaminations avérées et documentées de l'environnement local. L'étude d'impact AREVA de 2015, réalisée pour le projet TDN, est un document qui devrait contenir des éléments clés pour une évaluation approfondie de ces risques, mais son accès public intégral reste limité.9

La gestion à long terme des centaines de milliers de mètres cubes d'effluents liquides (393 000 m3 en 2023 5) et de boues solides (plus de 340 000 m3 dans les bassins B1-B6 et CERS en 2023 5) entreposés sur le site représente un défi environnemental et financier considérable. Le projet de Traitement Des Nitrates (TDN) vise à apporter une solution à la problématique des effluents liquides nitratés en les transformant en un résidu solide de plus faible volume, conditionné pour un stockage définitif.9 Cependant, la mise en œuvre de ce procédé industriel complexe n'est pas exempte de risques. Des préoccupations ont été soulevées quant à ses propres rejets atmosphériques potentiels (notamment la possible formation de dioxines et furanes, bien que contestée par Orano 13), à la consommation de ressources (énergie, réactifs) et à l'efficacité et la pérennité du confinement des résidus solides finaux qui contiendront les traces de radionucléides.13 Ainsi, la solution envisagée pour un passif environnemental génère elle-même de nouveaux enjeux qui nécessitent une évaluation et une surveillance rigoureuses.

B. Analyse de la gestion de l'incident du 5 juillet 2023 et des protocoles d'intervention.

La gestion de l'incident du 5 juillet 2023, où un hélicoptère a prélevé et largué de l'eau contaminée des bassins d'Orano Malvési, semble avoir été principalement réactive. L'accent a été mis, dans les communications officielles qui ont suivi la révélation de l'affaire par la presse, sur l'évaluation de l'exposition des sapeurs-pompiers et sur la minimisation des conséquences sanitaires immédiates.1

Les informations disponibles ne permettent pas de savoir quelles mesures préventives spécifiques auraient pu empêcher ce prélèvement erroné, ni si des modifications des protocoles de sécurité, de surveillance ou de coordination avec les services de secours ont été mises en place suite à cet événement. La communication publique sur cet incident n'a pas été initiée de manière proactive et détaillée par l'exploitant Orano ou par les autorités réglementaires. C'est le journal "L'Indépendant" qui a joué le rôle de déclencheur de l'information.1

Cet incident révèle une potentielle sous-estimation du risque d'interaction accidentelle entre les installations du site et des acteurs externes lors de situations d'urgence se déroulant à proximité (comme un feu de forêt). Les protocoles de communication entre Orano Malvési et les services de secours aériens (Sécurité Civile, SDIS), ainsi que la signalisation des dangers spécifiques associés aux différents bassins (notamment leur impropriété en tant que source d'eau pour la lutte anti-incendie), pourraient s'avérer inadéquats ou insuffisamment diffusés. Si les pilotes ne disposent pas d'une information claire et immédiate sur les zones de prélèvement interdites ou dangereuses sur et autour d'un site Seveso, de tels incidents sont susceptibles de se reproduire.

C. Identification des lacunes potentielles en matière de sécurité, de surveillance et de communication.

L'analyse de l'incident du 5 juillet 2023 et du contexte général du site Orano Malvési met en lumière plusieurs lacunes potentielles :

Un thème récurrent qui se dégage de l'analyse des informations disponibles est le décalage persistant entre les discours rassurants des instances officielles (exploitant, certaines autorités) et les préoccupations, analyses et alertes émanant d'organismes indépendants (comme la CRIIRAD) ou de la société civile. Ce décalage est largement alimenté par un manque de transparence totale sur les données brutes, les méthodologies d'évaluation des risques et les détails des incidents. Lorsque les informations cruciales ne sont pas facilement accessibles, complètes et vérifiables par des tiers, la confiance du public s'érode, et il devient difficile de parvenir à une évaluation objective et partagée des risques réels.

VII. Conclusion Générale de l'Enquête

A. Synthèse des découvertes clés.

La présente enquête, fondée sur l'analyse des informations disponibles, a permis de mettre en lumière plusieurs éléments critiques concernant le site Orano Malvési, ses effluents, et l'incident du 5 juillet 2023 :

B. Recommandations pour le renforcement de la sûreté nucléaire, de la protection de l'environnement, de la transparence et de la gestion des crises sur le site d'Orano Malvési.

Sur la base des constats établis, les recommandations suivantes sont formulées :

L'incident du 5 juillet 2023, bien que ses conséquences directes sur la santé aient pu être qualifiées de limitées par les autorités, doit être considéré comme un signal d'alarme. Il met en exergue les vulnérabilités potentielles d'une installation industrielle majeure et vieillissante, face à des événements externes et à des défaillances de coordination. La sûreté nucléaire et la protection de l'environnement ne reposent pas uniquement sur des dispositifs techniques internes, mais aussi sur une culture de la rigueur, une anticipation des scénarios complexes, une interface maîtrisée avec l'environnement extérieur, et une transparence sans faille. Une collaboration constructive et une écoute attentive de toutes les parties prenantes, y compris des voix critiques et des organismes indépendants, sont indispensables pour restaurer et maintenir la confiance du public et garantir le plus haut niveau de protection pour les populations et l'environnement.

Sources des citations
#environnement #uranium